lundi 27 février 2012

Menaces et opportunités d’une alliance franco-chinoise dans le nucléaire sud-africain


Menaces et opportunités d’une alliance franco-chinoise dans le nucléaire sud-africain

(Agence Ecofin) - S’allier à un concurrent pour gagner ? C’est le pari risqué que Français et Chinois sont prêts à prendre pour remporter l’appel d’offre que pourrait lancer Pretoria en 2012 pour la construction de six centrales nucléaires. Enjeu : 40 milliards d’euros. Pour bien saisir les enjeux de ce type d’alliance, il faut analyser les menaces et opportunités qu’elle représente sous le prisme de l’intelligence économique.
« Les Sud-Africains choisiront les fournisseurs qu’ils souhaitent. Or, ils nous ont dit qu’ils souhaitaient qu’on soit en partenariat avec les Chinois. Et donc si c’est ça qu’ils veulent, c’est ce qu’on va faire. » C’est cette déclaration inattendue de Hervé Machenaud, directeur exécutif production et ingénierie d’EDF, en marge d’une conférence de presse sur les résultats annuels du groupe le 16 février 2012 à Paris qui a alerté les analystes. Car en lieu et place d’un « partenariat » comme l’entendent les francophones, ce serait plutôt une alliance stratégique.
Comment ça marche ?Une alliance stratégique comme pourrait l’être la franco-chinoise du nucléaire sud-africain est une association entre deux ou plusieurs entreprises concurrentes qui décident de mutualiser leurs ressources pour réaliser un projet. Toyota & General Motors (1984), Microsoft & Visa (1994), Wahaha & Danone (1996) ou General Motors & Peugeot Citroën (qui pourrait voir le jour en 2012) sont quelques exemples qui ont marqué l’histoire du business au cours des 30 dernières années. Pour qu’elles marchent, il faut absolument qu’elles soient gagnant-gagnant. Car les opportunités qu’offre cette opération sont à la hauteur des menaces qu’elle représente.
Trois menaces principalesLe premier risque concurrentiel auquel pensent les analystes est de voir EDF et Areva se faire dépouiller par un allié chinois… Or EDF et Areva coopèrent déjà avec le producteur d’électricité nucléaire chinois CGNPC pour développer un réacteur de moyenne puissance de troisième génération. Cette expérience permet d’identifier les menaces de part et d’autre.
Première menace : le risque de renforcer son concurrent. Au-delà de l’objectif qui est de remporter un marché de 40 milliards d’euros, l’alliance que nous baptisons affectueusement « la franco-chinoise du nucléaire sud-africain » sera un terrain de combat feutré. Car mieux ils collaboreront, très puissants ils seront, et plus concurrentiels ils deviendront, l’un pour l’autre. Le cimetière du business est rempli d’anciens alliés, morts pour avoir manqué de lucidité.
Deuxième menace : le risque de générer des doublons. L’excès de protection dans le cadre des alliances stratégiques a également son revers. A trop vouloir sanctuariser les technologies et les compétences-clés par crainte de renforcer le concurrent-allié, les entreprises ont tendance à réduire les synergies entre elles. Ce comportement génère souvent des doublons qui entament les économies d’échelle auxquelles les alliances stratégiques concourent théoriquement.
Troisième menace : le risque de voir la qualité des centrales sud-africaines pâtir de cette alliance. Loin des tchin-tchin et des discours officiels, la réalité des alliances stratégiques est faite d’attraction et de répulsion, de confiance et de suspicion, d’entente et d’affrontements. On accélère pour mener à bien le projet, mais on freine lorsqu’il s’agit de partager des informations-clés, ce qui risque de priver les Sud-Africains des savoir-faire les plus pointus.
Trois opportunités majeuresDans le cadre de l’appel d’offres sud-africain, un partenariat ou plus exactement une alliance stratégique franco-chinoise ouvrirait au moins trois opportunités majeures.
Premièrement : se défendre face à des concurrents plus robustes. Des concurrents s’associent habituellement pour atteindre une taille critique sur des projets qu’ils pourraient difficilement réaliser séparément, voire pas du tout. C’est l’un des enjeux de la possible alliance entre General Motors et Peugeot Citroën en discussion depuis janvier 2012. Mais dans le nucléaire, le duo EDF-Areva n’a pas nécessairement besoin de Chinois pour construire six centrales en Afrique du Sud. Si Pretoria exige une alliance avec les Chinois, c’est à la fois pour satisfaire les deux parties et tirer un double bénéfice du transfert des compétences aux Sud-Africains.
Deuxièmement : associer des compétences. Les études les plus sérieuses ont montré que c’est l’alliance avec les Japonais, dans les années 80, qui a permis aux constructeurs automobiles américains de s’approprier les méthodes de management industriel. La réciprocité a permis aux constructeurs nippons de se déployer sur le marché étatsunien avec les résultats que l’on voit aujourd’hui. Dans le cadre du nucléaire sud-africain, il sera intéressant d’observer ce que les concurrents français et chinois sont prêts à mettre en commun pour une alliance win-win.
Troisièmement : réaliser des économies d’échelle – En interrogeant leur mémoire sur les échecs et les succès des alliances entre concurrents européens et chinois, il ne fait aucun doute que les Français insisteront pour circonscrire leur coopération dans un périmètre d’activités clairement définies comme on l’observe dans leur expérience avec le producteur d’électricité nucléaire chinois CGNPC. En tout état de cause, les deux alliés bénéficieront, en mutualisant leurs forces, d’un effet d’échelle sans pour autant renoncer à leur autonomie respective.
L’apport de l’intelligence économique«Dans une relation, les deux partenaires savent ce qu’ils font, même si plus tard l’un d’eux vient à se plaindre d’avoir été utilisé» écrivit un jour la Sorcière de Portobello. Si elle voit le jour, cette alliance aura pour principal challenge la gestion à court et à moyen terme. Tout le long du processus, les responsables de l’intelligence économique des deux entités auront un rôle crucial à jouer pour éviter à leur société de se plaindre, un jour, d’avoir été utilisée...
A court terme, il faudra observer sur quelle base sera réalisée la collaboration. Si le but, comme laisse penser l’attitude des autorités sud-africaines, est de combiner des compétences chinoises et françaises, chaque allié devra s’occuper des activités dont il est expert. Dans ce cas, les responsables de l’intelligence économique poursuivront leur mission habituelle. En revanche, si le but est de réaliser des économies d’échelle, les deux parties devront rassembler certaines de leurs activités dans une structure commune et/ou répartir les tâches entre eux. Dans ces cas les responsables de l’intelligence économique devront être d’une vigilance sans faille pour éviter les fuites de technologies et la transmission accidentelle d’informations clés.
A moyen-long terme, deux problèmes pourraient surgir. La plupart des analystes s’attendent à ce que les Chinois jouent à fond la carte du transfert des compétences à leur profit. On l’a vu dans le secteur automobile où les alliés chinois d’hier sont de devenus des concurrents plus redoutables qu’avant leur alliance avec des firmes européennes ou américaines.
Mais face aux problèmes interculturels qui ne manqueront pas, il se peut aussi qu’EDF et Areva poussent stratégiquement les Chinois à l’essoufflement pour reprendre seuls la co-entreprise et la restructurer à leur manière. Les experts en intelligence économique de chaque partie devront proposer des solutions codifiées permettant d’éviter une trop grande dépendance de leur entreprise vis-à-vis de leur concurrent-allié. Car une telle dépendance serait mortelle à terme.
« Si vous voulez vous faire des ennemis, surpassez vos amis », écrivait La Rochefoucauld, « mais si vous voulez vous faire des alliés, laissez vos amis vous surpasse». L’avenir nous dira si les stratèges sud-africains ont gagné leur pari en suggérant une alliance à deux « ennemis ».
Guy Gweth, Conseil en intelligence économique & stratégique

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