lundi 27 février 2012

Le Canada, nouvel eldorado des Africains?


Le Canada compte 400.000 habitants nés en Afrique. Malgré l’espoir d’une vie meilleure, certains nouveaux arrivants affrontent des obstacles qu’ils n’avaient pas toujours imaginés. Exemple au cœur du pays, à Winnipeg, la capitale du Manitoba.

Vue du centre-ville de Winnipeg durant des inondations, en avril 2006. AFP PHOTO/JEFF PALMER
«Quand j’ai quitté Dakar il y a six ans, il faisait 25°C,se rappelle Rokhaya. Lorsque j’ai atterri à Winnipeg, il faisait nuit et -40°C. C’est seulement le lendemain que j’ai tout découvert. Autour de moi, j’ai vu des gens tellement différent de ce que je connaissais. J’ai compris que j’avais mis les pieds dans une autre culture…»


Le Manitoba. En plein cœur du Canada. A mi-chemin entre Vancouver et Montréal. Un territoire plus grand que la France. Des plaines à perte de vue. Un hiver parmi les plus rigoureux du monde. Pourtant, l’immigration venue d’Afrique ne cesse d’augmenter. Depuis des années, les portes de l’Europe se ferment et le flux migratoire se tourne vers le deuxième pays le plus grand du monde. Actuellement, la province du Manitoba compte environ 30.000 habitants nés en Afrique. C’est peu, comparé à la population totale (1.300.000, dont 800.000 à Winnipeg). Mais c’est assez pour faire de la communauté africaine sur place, l’une des plus importantes du pays.

«Ça prend beaucoup de temps»

«Tout n’est pas rose. Il y a encore beaucoup de défis et de choses à régler», relativise calmement Bintou Sacko. La directrice de l'Accueil francophone du Manitoba a grandi au Mali, avant d’arriver à Winnipeg, il y a 17 ans. Chaque année, elle accueille dans son bureau 10% des 2000 à 3000 africains qui viennent s’installer au Manitoba. Dans la province, un migrant africain sur huit vient d’un pays francophone (République démocratique du CongoSénégal, Maroc). Sept sur huit d’un pays anglophone (NigeriaSoudanSomalie).

Parmi ces nouveaux arrivants africains: les réfugiés politiques qui viennent grâce à des programmes de prise en charge. Dans une province qu’ils n’ont souvent pas choisie, leur adaptation n’est pas simple.
«Le problème avec nos personnes réfugiées, c’est que ça prend beaucoup de temps, reconnait Saadia Saadane, la directrice adjointe de l’association Pluri-Elles.N’oublions pas qu’ils doivent quand même apprendre l’une des deux langues officielles, le français ou l’anglais, pour pouvoir communiquer. En plus, souvent, ne pas avoir un emploi signifie une dépendance financière vis-à-vis de l’aide sociale.C’est parfois un problème frustrant pour ces personnes-là. On fait tout ce qu’on peut pour les encourager et les aider à intégrer le marché de l’emploi, mais c’est très difficile. Il faut être honnête.»
L’autre catégorie de nouveaux arrivants: les immigrés économiques. Ils viennent du sud ou de l’ouest de l’Afrique, où ils vivaient déjà confortablement. Mais si la plupart ont préparé leur installation, certains ne sont pas forcément bien informés sur leur destination d’accueil.

«On doit reprendre tout à fait à zéro»

Au milieu de la circulation et des immeubles du centre-ville de Winnipeg, un petit bout d’Afrique: le magasin Afritoba. Son patron, Joseph Topango, a vécu en Afrique du Sud et au Mozambique. Les difficultés ne l’étonnent pas.
«Quand on arrive ici, on est surpris de voir que nos diplômes, obtenus soit en Afrique, soit même en Europe, ne sont pas acceptés au Canada. On doit reprendre tout à fait à zéro. En plus, certains n’ont pas suffisamment de notions de la langue anglaise. Or, contrairement à ce que les gens croient à l’extérieur, même si on dit que c’est un pays bilingue, le Canada a une très très grande prédominance de l’anglais. Ça devient un handicap pour certains. Les gens doivent fournir davantage d’efforts qu’ils ne le croyaient.»
Pourquoi s’installer à Winnipeg? Montréal, Toronto, Vancouver, les principales villes canadiennes, accueillent déjà beaucoup d’immigrés. Conséquence: beaucoup de nouveaux arrivants africains préfèrent regarder du côté des grandes plaines. Marché du travail plus ouvert, logements moins chers, bonne santé économique de la ville… Se faire une place et gagner sa vie apparaît plus simple.

«En Afrique, on peut frapper un enfant, ça fait partie d’une correction»

Pourtant, les difficultés sociales existent aussi. De l’autre côté de la rivière Rouge, dans le quartier francophone de Saint-Boniface, Saadia Saadane compare le rapport à l’éducation des enfants, très différent au Canada.
«En Afrique, on peut frapper un enfant, ça fait partie d’une correction. Ici, ce n’est pas permis. Plusieurs familles se sont trouvées confrontées à la police ou aux assistantes sociales. Certains se sont même fait enlever les enfants. Donc, il y a beaucoup d’ateliers qui essayent de leur expliquer tout ce qui concerne la loi et comment se comporter ici, au Manitoba.»
Parfois, c’est le rapport hommes / femmes qui pose problème.
«Certains hommes n’ont pas l’habitude de se faire servir ou de recevoir l’autorité d’une femme, constate Bintou Sacko. Dans la plupart des pays en Afrique, la femme reste toujours inférieure à l’homme. Elle ne peut pas donner d’ordres et l’opinion d’une femme ne compte pas autant que ça. Il faut que ça vienne d’un homme. Ici, ce sont des attitudes qu’on voit parfois et qui ne marchent pas, parce que les femmes sont partout. On a beau aider ces hommes, s’ils ne veulent pas s’ouvrir à une nouvelle culture, l’intégration devient très difficile et la personne ne trouvera jamais sa place.»


Pas de statistiques. Ce sont avant tout des constats qui se répètent et que le dialogue et la pédagogie parviennent souvent à modifier. Sous couvert d’anonymat, un observateur estime qu’à Winnipeg, «200 à 300 hommes se retrouvent socialement isolés». Ces personnes, qui refusent de s’ouvrir à la culture locale, constituent cependant une minorité parmi les nouveaux arrivants. La plupart souhaite se «fondre dans la masse», malgré les désillusions.

«En venant ici, tu gagnes quelque chose, mais tu perds quelque chose»

Plus folklorique, mais à ne surtout pas prendre à la légère: le climat. Ici dans les grandes plaines, l’hiver est le plus rude de la bande sud du Canada. Les températures peuvent descendre jusqu’à -50°C. Un climat qui impose un quotidien et des rapports sociaux «plus individualistes» et très différents des réalités africaines. D’où, chez beaucoup, une certaine nostalgie.
«Quand nous sommes arrivés ici, on était déçu, se souvient cette jeune femme plutôt favorisée, née au BurundiC’est difficile, c’est froid et les gens ne sont pas aussi chaleureux qu’en Afrique. Tu vis quelque part, mais tu ne connais pas les gens qui t’entourent. Honnêtement, j’aimerais bien retourner en Afrique, parce que là-bas, il n’y a pas tellement de stress. En venant ici, tu gagnes quelque chose, mais tu perds quelque chose

«Une terre d’opportunité»

Certaines familles repartent. Quelques-unes tout au plus, depuis une dizaine d’années. Pour la plupart, pas question d’abandonner. Les réfugiés politiques n’oublient pas ce qu’ils ont vécu avant d’arriver. Les autres immigrés, eux, n’ont souvent pas le courage de déménager une nouvelle fois. Tous parlent de leurs enfants et de la chance qu’ils veulent leur donner. C’est cet espoir qui fait relativiser Ibrahima Diallo, natif du Sénégal et ancien doyen de l’Université francophone de Winnipeg:
«Winnipeg est une ville fantastique dans laquelle se retrouverait un Africain. Il y a des institutions, des centres culturels, des écoles qui permettent à l’ensemble de la communauté de pouvoir vibrer. Ce sont des atouts extrêmement importants. Et il ne faut pas se leurrer. Je n’ai jamais vu un pays où tu débarques et, tout de suite, c’est "intégrez-moi". Ça prend du temps. Il y en a qui réussissent; il y en a pour qui c’est plus difficile. Il faut savoir y mettre du sien. Le Canada est une terre d’opportunité.»
Six ans après son trajet Dakar-Winnipeg, et même si elle s’imagine rentrer un jour au Sénégal, Rokhaya songe à la citoyenneté canadienne. Elle devrait l’obtenir dans un an:
«Maintenant, je me considère comme franco-manitobaine. Le Canada ouvre des portes incroyables pour les immigrés.»
A Winnipeg, un centre culturel africain est prévu pour 2013.
Sébastien Nègre et Pierre Verrière

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