mercredi 15 février 2012

Comment détecter les présentations trompeuses de résultats



Il semblerait que les propos tenus par les dirigeants et les directeurs financiers sur leurs résultats trimestriels soient de meilleurs révélateurs de la santé réelle de leur entreprise que les états comptables.
Telle est, tout du moins, la conclusion de l’étude menée par deux chercheurs de l’université de Stanford David Larcker et Anastasia Zakolyukina.
Le 16 mars 2008, la Bear Stearns, une des plus grandes banques américaines d’investissement, pionnière dans les produits de titrisation, largement exposée à la crise des subprimes est rachetée in-extremis par la banque J.P. Morgan à un prix de 10$ l’action (celle-ci s’évaluait à 133$ l’action 5 mois plus tôt).

Quelques jours après, Erin Callan, la directrice financière de Lehman Brothers, rassurait les analystes financiers lors d’une conférence téléphonique de présentation des résultats trimestriels en indiquant que le volume d’affaires de la banque était resté "fort". Dans cette conversation, elle utilisa ce mot 24 fois et foisonna son discours d’expressions dithyrambiques comme "formidable" 14 fois, "incroyablement" 8 fois, "challenge" 6 fois et une fois seulement le mot "difficile". La suite, on la connait : la banque se déclarait en faillite 6 mois plus tard et alors même que son patron avait déclaré peu de temps avant "le pire est derrière nous" !

Les analystes et actionnaires de la banque auraient certainement eu une autre vision des résultats et des perspectives de l’entreprise s’ils avaient eu connaissance de l’étude "détecter les présentations trompeuses lors de conférences téléphoniques" menée par les deux chercheurs de l’université de Stanford.

"Il est difficile de savoir lorsqu'il y a une manipulation comptable dans les livres. Alors, nous avons construit un modèle prédisant la probabilité d'une supercherie dans la présentation orale des comptes trimestriels" indique le Professeur David Larcker.

Les auteurs ont analysé, entre 2003 et 2007, près de 30.000 transcriptions de conférences téléphoniques (16.000 émanant de CEO et 14.000 émanant de CFO) issues de présentation de résultats trimestriels. Ils se sont plus particulièrement focalisés sur les séances des questions réponses avec les analystes estimant les propos alors échangés plus libres et moins préparés que ceux prononcé lors de la présentation des résultats.
Ils ont ensuite comparé ces propos avec les corrections comptables intervenues ultérieurement jusqu’en 2009 en introduisant toutes leurs données dans les systèmes informatiques de l’université de Stanford.
90% des sociétés ainsi passées au crible étaient cotées au NYSE ou au NASDAQ, près de 14% d’entre-elles avaient présenté des résultats trimestriels erronés et parfois de manière récurrente.

Les auteurs ont ainsi relevé dans les propos des tournures de langage et l’utilisation d’expressions qui selon eux doivent constituer des signaux d’alerte.

L’utilisation de formules dilatoires faussement conciliantes
Ces formules qui renforcent la crédibilité sans donner d’information réelle : "comme vous le savez tous", "il est bien connu que", "tout le monde est d’accord sur", …

La désappropriation personnelle de la situation
Le "je" est remplacé par des pronoms impersonnels comme "la société", "l’équipe", ou des pronoms pluriel comme "nous". "L'usage d'un pronom à la première personne signifie qu'un individu s'implique dans ce qu'il dit, alors que les menteurs essayent de se distancer de ce qu'ils affirment" indique l'étude.

L’utilisation de phrases courtes avec peu de mots marquant l’hésitation
Des phrases courtes semblant marquer une certaine préparation dans les réponses aux questions attendues avec peu de ponctuation d’hésitation de type "euh", "ah", …

L’usage des superlatifs et des expressions exprimant des émotions positives extrêmes
Les mots comme "bon", "prometteur", "solide", sont remplacés par "fantastique", "extraordinaire", "exceptionnel" comme pour donner plus de véracité aux propos tenus. Les auteurs notent que l’usage de ces superlatifs est plus fréquent dans la population des CEO que dans celle des CFO.

L’absence de certaines expressions
Les références à "la création de valeur", "la valeur pour l’actionnaire", normalement couramment utilisés par les dirigeants ne le sont que très peu lors de discours trompeurs. La raison en serait qu’une fausse déclaration de promesse de création de valeur actionnariale pourrait leur être ensuite reprochée et faire l’objet de poursuites.

Rappelons-nous ce que Kennet Lay, alors PDG du courtier en énergie ENRON, déclarait à ses employés au moment où la société était sur le point de s’effondrer : "Notre cœur d’activité est extrêmement fort, nous avons un avantage compétitif important".

Les deux chercheurs ont créé un modèle informatique permettant d’emettre des signaux d’alerte mais David Larcker admet que ces recherches ont besoin d’être poursuivies et affinées pour devenir plus efficaces.
Il reconnait toutefois avoir d’ores et déjà reçu de nombreux mails et appels d’investisseurs, d’analystes et de gestionnaires de portefeuille.
Il reconnait aussi avoir reçu un message critique qui disait en substance "Merci beaucoup d’indiquer aux CEO et aux CFO comment mentir" !

J'avais eu l'occasion d'aborder, avec humour, un sujet sur la réthorique managériale "A la recherche du langage de la performance". Je vous invite à vous y reporter.

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