Ce mois-ci sera discutée à l’Assemblée la loi sur l’extension du travail le dimanche. Cette extension est-elle opportune ? Lors de sa dernière lettre d’information, la Chaire sécurisation des parcours professionnels (Crest-Ensae et Sciences po avec Alpha, Dares, Pole emploi, Randstad, et Unedic) apporte des éléments de réponse inspirés de nombreuses expériences étrangères, que nous reprenons ici.
L’extension du travail du dimanche pose deux questions. Augmente-t-elle le bien-être collectif ? Est-elle créatrice d’emplois ? Le bien-être retiré par chacun du temps libre n’est pas indépendant de ce que font les autres. Deux économistes, Daniel Hamermesh et Daniel Halberg, ont montré que les couples adaptent leurs horaires de travail, quitte à supporter des pertes de pouvoir d’achat, pour disposer de plages horaires leur permettant de passer du temps libre en commun. Il apparaît aussi que le degré d’implication dans des activités associatives est lui-même positivement influencé non seulement par le propre temps libre de chacun, mais aussi par le temps libre des autres. Sans réglementation sur une journée de repos, il est probable que la majorité des individus et des familles aient des difficultés à se coordonner sur des loisirs pris en commun ou sur des activités collectives. Une réglementation interdisant au moins partiellement le travail du dimanche peut se justifier.
Mais l’extension des horaires d’ouverture pourrait se traduire par une hausse de la demande globale de travail et donc in fine par des créations d’emplois ou une augmentation des heures travaillées. Les études empiriques portant sur quelques expériences étrangères confirment ces prédictions. Ainsi, jusqu’en 1985, le Canada vivait sous le régime de la « loi sur le dimanche » qui faisait du dimanche le jour de repos de la semaine. Mais, en 1985, la Cour suprême a jugé que cette loi était inconstitutionnelle au motif qu’elle violait le principe de liberté de conscience et de religion inscrit dans la Charte canadienne des droits et libertés. A partir de cette date débute un processus de dérégulation de l’ouverture des commerces qui se stabilise en 1993. Mikal Skuterud a exploité les différences dans les dates et les modalités de la mise en oeuvre de la nouvelle législation selon les municipalités pour apprécier l’effet de la dérégulation des horaires d’ouverture. Ses résultats indiquent qu’elle s’est traduite par une hausse de l’emploi dans le secteur du commerce de détail de l’ordre de 3,1 % de l’emploi total de ce secteur, mais la hausse de l’emploi a pu être plus importante (jusqu’à 12 %) dans certaines provinces les moins sévères sur de telles ouvertures. Les résultats aux Etats-Unis sont similaires. En exploitant des différences dans la législation selon les Etats et les commerces, des économistes estiment que la restriction à l’ouverture des commerces de détail le dimanche coûte entre 2 % et 6 % des emplois dans ce secteur.
Les résultats de ces études plaideraient pour une extension importante du travail le dimanche, mais, comme nous l’avons rappelé, une partie de la population pourrait en faire les frais. Les enquêtes d’opinion, fréquentes sur ce sujet, montrent néanmoins que les Français sont bien plus favorables à l’ouverture des magasins le dimanche en Ile-de-France que dans les communes rurales. Une législation qui donnerait aux communes ou aux communautés de communes l’autorité sur les décisions d’ouverture des commerces le dimanche permettrait de mieux s’adapter à cette hétérogénéité.
Yann Algan le 07/01/2015
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